Quelques jours après la présentation en détail de l’appel d’offres des droits TV de la Ligue 1 et de la Ligue 2 par la Ligue de Football Professionnel, l’Autorité de la concurrence rend public l’avis qu’elle avait rendu au gouvernement concernant la publication du décret relatif à la commercialisation des droits d’exploitation audiovisuelle et l’allongement de 4 à 5 ans de la durée maximale des contrats.
L’Autorité de la concurrence rappelle en préambule que « selon les rédacteurs du texte, cet allongement est de nature à favoriser l’entrée de nouveaux opérateurs sur le marché de l’acquisition des droits de la Ligue 1, à stimuler la concurrence à l’achat et à engendrer un accroissement des recettes de la LFP, au bénéfice de l’ensemble de l’écosystème du football ».
« Si l’instruction menée par l’Autorité n’a pas permis de confirmer l’efficacité de la mesure proposée au regard de son objectif, elle n’a, cependant, pas mis en lumière de risque déterminant d’atteinte à la structure du marché (éviction de diffuseurs) ou au bien-être du consommateur (augmentation du prix des abonnements). Le projet de décret ne suscite donc pas dans son principe de réserves majeures.
L’Autorité souligne toutefois que l’article R. 333-3 du code du sport prévoit un dispositif encadrant de manière globale la commercialisation des droits d’exploitation audiovisuelle de la Ligue 1. Dans ces conditions, l’Autorité considère qu’en modifiant seulement l’une de ces dispositions, sans s’interroger plus largement sur l’impact d’une telle modification sur le fonctionnement de l’ensemble du dispositif, l’équilibre que cherche à atteindre l’article R. 333-3 peut être remis en cause.
Partant, l’Autorité invite le Gouvernement à engager une réflexion plus globale sur le cadre posé par l’article R. 333-3. Si le Gouvernement s’engage dans cette voie, l’Autorité devra être mise en mesure de procéder à une analyse approfondie du secteur, laquelle requerra davantage d’éléments (étude d’impact étoffée, bilan de la réglementation, données, etc.) que ceux apportés dans le cadre de cette demande d’avis. »
Le reste du communiqué
Le secteur de la commercialisation des droits d’exploitation audiovisuelle du football professionnel
Le secteur de la commercialisation des droits d’exploitation audiovisuelle des compétitions sportives est réglementé par le code du sport, qui prévoit que lorsque les fédérations sportives, propriétaires des droits d’exploitation audiovisuelle des manifestations ou compétitions sportives qu’elles organisent, cèdent ces droits aux sociétés sportives, ces derniers sont commercialisés de façon centralisée par la ligue professionnelle. À ce jour, seule la Fédération Française de Football a cédé la propriété de ses droits ; elle est donc la seule concernée par les dispositions de l’article R. 333-3 du code du sport.
Concernant l’attribution de ces droits, cet article précise qu’elle est réalisée au terme d’une procédure d’appel à candidatures publique. Il précise en outre que les droits sont offerts en plusieurs lots distincts, chaque lot étant attribué pour une durée qui ne peut excéder quatre ans, au candidat dont la proposition est jugée la meilleure. C’est cette durée de quatre ans que le projet de décret souhaite modifier.
Si l’article R. 333-3 du code du sport est applicable à la commercialisation des droits de la Ligue 1 et de la Ligue 2, l’Autorité a concentré, dans cet avis, son analyse sur les diffusions de matchs de Ligue 1 en raison notamment de leur caractère particulièrement attractif et du fait qu’ils ont été majoritairement achetés, jusqu’à ce jour, par des acteurs de télévision payante.
Les implications concurrentielles de l’allongement de la durée d’exploitation à 5 ans
L’Autorité (alors Conseil de la concurrence –ci-après « le Conseil ») a déjà eu l’occasion de s’exprimer sur le sujet de l’allongement de la durée maximale d’exploitation des droits dans deux avis rendus en 2007 (n°07-A-07 et n°07-A-15).
Dans son avis n° 07-A-07, le Conseil avait considéré que la limitation de la durée des contrats était une contrepartie indispensable à la restriction de concurrence liée à une vente centralisée « des droits audiovisuels les plus attractifs du football alors que, ceux-ci ayant été transférés aux clubs, devraient être vendus par eux ». Il avait également considéré que garantir une certaine durée d’exclusivité apparaissait nécessaire pour permettre aux acheteurs de mettre en œuvre et d’amortir les investissements requis pour entrer sur le marché et capter une base d’abonnés.
Selon les rédacteurs du projet de décret, l’allongement de quatre à cinq ans de la durée des contrats d’exploitation des droits aurait pour effet de faciliter l’amortissement des investissements importants que des nouveaux entrants doivent mettre en œuvre (prix des droits, investissements de marketing, de production, etc.). Les incitations de nouveaux entrants à entrer sur le marché de l’acquisition de droits pourraient croître et la concurrence entre les acheteurs serait de nature à engendrer une augmentation des recettes de la LFP par le biais d’une hausse de prix de vente des droits.
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L’allongement de la durée d’exploitation n’est pas une condition nécessaire et suffisante à l’entrée de nouveaux acteurs sur le marché
Dans le cadre de son instruction, l’Autorité constate que la majorité des acteurs interrogés lors de l’instruction confirment, sur un plan théorique, qu’une durée de cinq ans est susceptible de faciliter l’amortissement de l’investissement et donc d’accroître les incitations à entrer sur le marché.
Toutefois, en pratique, l’Autorité constate que les potentiels nouveaux entrants interrogés n’ont pas clairement identifié l’allongement de la durée comme un élément déterminant d’incitation à entrer sur le marché, notamment s’agissant des plateformes. De plus, l’Autorité relève que l’instruction n’a pas permis d’établir de manière univoque un lien de causalité entre l’entrée sur le marché de nouveaux opérateurs (dont certains en sont par ailleurs depuis sortis) et l’allongement de la durée des contrats de 3 à 4 ans intervenue en 2007.
L’Autorité souligne par ailleurs que la capacité des opérateurs à amortir la valeur des droits d’exploitation de la Ligue 1 en cas d’augmentation de la durée des contrats doit être mise en balance avec l’augmentation du prix consécutive à cette augmentation, celle-ci pouvant par ailleurs dissuader des opérateurs de moindre envergure à se porter candidats lors des appels d’offres.
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L’allongement de la durée d’exploitation ne menace pas la structure concurrentielle des marchés avals ou le bien-être du consommateur
Comme elle l’avait rappelé dans ses avis de 2007, l’Autorité considère qu’une durée allongée des contrats d’exclusivité accroît, en théorie, le risque que les candidats perdants de l’appel d’offres soient évincés des marchés des services de télévision payante, dès lors que les droits concernés constituent une ressource essentielle au succès d’une offre de télévision payante.
L’Autorité constate que ces marchés ont évolué (attractivité croissante d’autres manifestations sportives que la Ligue 1, émergence de services audiovisuels non-linéaires payants ne proposant pas de contenus sportifs) et note que la diffusion de la Ligue 1 au sein d’une offre de télévision payante apparaît moins indispensable aujourd’hui qu’elle ne l’était en 2007. Dans ce contexte, le risque d’éviction des candidats perdants lors des appels d’offres portant sur cette compétition, mis en avant par le Conseil dans ses avis de 2007, apparaît moins prégnant aujourd’hui.
L’Autorité rappelle par ailleurs que le mécanisme d’allotissement réduit le risque d’éviction d’un diffuseur et de concentration de l’ensemble des droits de diffusion chez un même opérateur. Elle note, sur ce point, que depuis 2007, lors de chacun des appels d’offres lancés par la LFP, au moins deux opérateurs ont été attributaires de lots.
Enfin, l’Autorité a analysé le risque de hausse de prix des abonnements offerts au public en cas de hausse de prix des droits d’exploitation de la Ligue 1, consécutive à un allongement de leur durée. L’Autorité constate que l’existence sur le marché aval d’offres alternatives de services payants incluant des matchs de Ligue 1, favorisée notamment par le mécanisme d’allotissement, est une première limite au risque de hausse de prix à l’aval. Elle relève ensuite que l’allongement de la durée des contrats n’affecte pas en tant que telle la structure des marchés avals et n’est donc pas susceptible d’accroitre significativement les incitations des diffuseurs à augmenter le prix de leurs abonnements par rapport à la situation actuelle.
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