Karaté Bushido n’est plus uniquement ce magazine papier réservé aux passionnés d’arts martiaux. En 2025, c’est un média à 360 degrés qui enregistre des scores en dizaines de millions de vues : print, réseaux sociaux, vidéo, événementiel et même agence d’influence. Pour Sport Buzz Business, le directeur adjoint de Karaté Bushido, présente le modèle économique et les perspectives de développement de la marque qui fête son cinquantième anniversaire.
Yohann Albonesy ne se bagarre pas devant les caméras. Le jeune homme est plus efficace derrière son ordinateur ou avec son téléphone. Arrivé en tant que business développer, son travail lui a permis de devenir responsable commercial et évènementiel puis directeur adjoint de Karaté Bushido, à 28 ans seulement. Une entreprise à taille humaine qui lui a fait confiance. Le média s’appuie sur une équipe resserrée avec quelques freelances et sur un historique, Johann Vayriot, photographe et réalisateur, dans la structure depuis 1999.

Un magazine, vitrine incassable… pour le moment
Karaté Bushido existait bien avant Youtube et les réseaux sociaux. En 1974, un an seulement après la mort de Bruce Lee, le magazine Karaté est créé pour lui rendre hommage. C’est la fusion de plusieurs titres de presse détenus par EUROP MAG, toujours propriétaire de la marque, qui donnera le nom de Karaté Bushido. Le secteur de la presse papier est en crise mais le produit fait de la résistance, important pour un magazine qui parle de combat. « On a changé plusieurs fois les temporalités de parution. C’était un mensuel, ensuite un bimensuel, aujourd’hui c’est un trimestriel. C’est comme ça qu’on a réussi à garder le magazine en vie, en nous adaptant au marché et aux habitudes de consommation. Nous ne délivrons plus de l’information chaude, on fait plutôt des dossiers, des reportages de fond », explique Albonesy. 20 000 exemplaires sont imprimés tous les trois mois. Juste ce qu’il faut pour contrer les coûts de diffusion et d’impression qui assomment les éditeurs.
Malgré le contexte économique et le recul de la presse papier, il est inconcevable d’arrêter : « Cela coûte très cher à produire mais le mettre de côté, ça non. A moins d’enregistrer des pertes irrationnelles, je pense que c’est un beau produit qui doit subsister et on fera tout pour le maintenir. En revanche, le complémenter avec une offre digitale, ça fait totalement sens. » C’est dans cette optique qu’un nouveau site a vu le jour en début d’année avec l’ambition d’héberger des articles chauds, en continu, comme peuvent le faire La Sueur ou RMC Sport. La chaîne du groupe Altice, privée des grands droits du football, a fortement repositionné sa rédaction sur les sports de combat. Elle détient les droits de diffusion de l’UFC jusqu’en 2027 et ceux d’autres organisations majeures.
L’autre activité historique du média, c’est le Festival des arts martiaux, organisé une fois par an (à l’Adidas Arena depuis 2024). « Comme pour le magazine, la rentabilité effective n’est pas exceptionnelle. Mais c’est notre mission, notre ADN, notre devoir de donner la parole aux arts martiaux traditionnels qui véhiculent plein de belles valeurs. C’est une grande fête des sports de combat en France, ce n’est pas un événement commercial. Peu de médias peuvent se vanter d’avoir 50 ans et nous le devons à notre gestion rigoureuse. »

5,6 millions de vues sur Youtube avec le Major Gérald
C’est sur Youtube que Karaté Bushido a trouvé un nouveau terrain d’expression à partir de 2011. Mais ce n’est qu’en 2022 que la stratégie se recentre à fond sur la vidéo autour d’un personnage emblématique. « On est passé de 350 000 abonnés à un million en l’espace d’un exercice », se souvient le jeune directeur adjoint. Portée par la bonne humeur de Grégory Bouchelaghem, alias GregMMA, ancien combattant professionnel, très à l’aise devant la caméra, la chaîne enchaîne les records d’audience. Plus de 5 millions de vues pour les récits du Major Gérald, plus de 4 pour un sparring avec Jean-Charles Skarbowsky, 3,7 pour une confrontation avec Jérôme Le Banner, près de 3 pour les images exclusives des tests de sélection du RAID… Le record de la chaîne, 7,5 millions de vues, est pourtant détenu par une vidéo du mois de décembre 2015, sans Greg MMA, mais avec les moines de Shaolin en démonstration lors du Festival des arts Martiaux.
Depuis un an, « Greg » n’est plus le visage de la chaîne. Il a pris son envol et développé le même concept sous son nom propre. « Il y avait des relations contractuelles. Nous regrettons son choix. Nous ne l’avions pas anticipé et cela nous a contraint à opérer une mutation et lancer d’autres athlètes. Nous avions déjà travaillé avec Mehdi Ben Hassen (MBH) et Matthieu Letho-Duclos mais les deux étaient blessés à cette période. On a finalement très bien rebondi avec des personnes de valeur et on a su se diversifier », résume Yohann Albonesy. L’équipe s’est étoffée avec d’autres fortes personnalités qui plaisent au public. Romain Debienne, combattant de 27 ans, et des « anciens » comme Cyrille Diabaté, pionnier du MMA en France et ancien combattant à l’UFC, ou Jean-Charles Skarbowsky, légende de la boxe thaïlandaise, ont rejoint la team Karaté Bushido. « Jean-Charles a eu une carrière époustouflante mais en France, il n’était pas vraiment connu. Après sa première vidéo avec nous qui a fait 4 millions de vues, il m’a confié que tout le monde l’arrêtait dans la rue. » Diabaté participe aussi à la chaîne GONG, autre média français reconnu. Elle est animée par Fred Rousseau, un ancien rédacteur de Karaté Bushido. Tout le monde se connait dans ce microcosme.

Interrogé sur la rémunération de ces nouveaux influenceurs, Albonesy n’esquive pas : « Au niveau de la création et de la rémunération, nous avons un modèle collégial. Je n’aime pas dire qu’ils travaillent pour moi, on travaille ensemble. Nous sommes sur une base de « revenue sharing », de partage des revenus. Tout le monde est intéressé à la performance. Cela évite de signer quelqu’un en lui promettant un bon salaire et le jour où il y a une très grosse exposition, qu’il n’en profite pas. Ou inversement, de mettre en péril l’entreprise si les audiences ne suivent pas. D’un mois à l’autre, on peut multiplier les scores par 4, il y a plein d’aléas dans la diffusion d’une vidéo. » Ce pôle d’activité est au cœur du business model de Karaté Bushido. La création de contenus vidéo est clairement rentable pour le média. Youtube n’est même plus la seule plateforme qui rémunère les créateurs de contenus. « La vidéo devient un fichier qu’on peut réexploiter. L’idée, c’est de reformater, redistribuer nos concept sur les autres médias sociaux qui proposent des rémunérations. Je regardais nos statistiques sur Facebook, on a fait 18 millions de vues en vingt jours, c’est une très grosse audience. Dans notre logique, cela apporte aussi une plus grande liberté financière à nos talents. »
Le MMA, un sport pas encore bien structuré
L’argent reste le nerf de la guerre. Malgré la popularité du MMA, l’intérêt des médias et l’existence de ligues françaises (ARES, Hexagone…), le milieu se cherche encore. Même si la discipline est pratiquée depuis plus de 20 ans en France, elle n’a été reconnue qu’en 2020 par le ministère des sports. La fédération de MMA française (FMMAF) encadre la pratique, sous la tutelle de la fédé de boxe. En dehors de ce cadre réglementaire primordial, les athlètes qui vivent pleinement de leur sport sont rares. Leur statut de « professionnel » ne leur garantit pas une sécurité financière. Morgan Charrière ou plus récemment Paul Dena ont compris qu’il fallait raconter leur propre histoire avec soin pour attirer le public et les marques. Aujourd’hui, pas de constructeur automobile en vue ou d’équipementier sportif de premier plan, ni d’entreprises de la téléphonie et de l’électronique. Les seuls gros noms à se mouiller sont des opérateurs de paris en ligne, Unibet et Winamax, ou une marque spécialisée, Venum, fondée par des français en 2006, elle est l’équipementier officiel de l’UFC. Pour les rares fighters à pouvoir profiter de sponsors, ils doivent compter sur des chaînes de fastfood ou des marques de compléments alimentaires, moins clinquant mais finalement plus en adéquation avec la jeune audience du MMA.
Une agence d’influence
Karaté Bushido se présente maintenant comme un coéquipier crédible et expérimenté pour les combattants professionnels et les personnalités du milieu en recherche de sponsors ou de visibilité. Un service sur mesure leur est proposé pour leur gestion de carrière ou leurs relations presse. En quelques années, Albonesy a constaté une professionnalisation des pratiques mais aussi quelques écarts : « Avant, c’était le far west, un texto pouvait officialiser un partenariat. Aujourd’hui, il y a des autorités de régulation. Il y a aussi une multiplication d’acteurs qui essaient de surfer sur la vague. Beaucoup de proches s’improvisent agent. On a l’impression d’être dans les débuts du football. » Il est convaincu par l’incarnation des messages : « C’est très important d’avoir des visages, des personnalités. C’est comme ça qu’on a cassé le plafond de verre des initiés. Des personnes qui ne pratiquent pas consomment nos formats de divertissement. » L’issue d’un combat est imprévisible mais « Karaté » se donne les moyens de tenir son rang. D’autres acteurs pourraient bien émerger avant le retour de l’UFC en France dans six mois.

En chiffres
- 574 000 abonnés sur Facebook
- 156 000 sur Instragram
- 230 000 sur Snapchat
- Un million sur Youtube
- Une vidéo représente un jour de tournage et trois de montage (publication hebdomadaire)
- 10 000 personnes en moyenne assistent au Festival des arts martiaux