Article écrit par Stéphane PICOT
Le sport aura occupé une place prépondérante durant cette année 2024, avec en point d’orgue, le succès des Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris. Les JO sont d’ailleurs la vitrine du spectacle sportif et plus largement d’une économie. Cette filière représente en 2023, 2% du PIB mondial, soit 1 200 milliards d’euros. Au niveau de la France, la consommation sportive s’élève à plus de 50 milliards d’euros en 2022 (1). Si on décompose ce chiffre, on s’aperçoit que le budget cumulé des fédérations sportives représente environ 3,5 milliards d’euros, soit 7% de la filière économique du sport. Cette manne financière provient pour 70% du secteur privé, 10% de subventions publiques et 20% des cotisations (2).
En l’espace de 20 ans, ce budget a quasiment doublé. Les subventions publiques, en raison des contraintes budgétaires de l’État et des collectivités, ont diminué de 20 à 25 %, mais les revenus issus du sponsoring et des droits de diffusion ont explosé. Cette marchandisation de plus en plus importante du sport bouleverse forcément le modèle social et associatif traditionnel.
Il est important de rappeler que le sport en France se pratique principalement dans des associations. On dénombre 18 millions de licenciés dans les 180 000 clubs, encadrés par 110 fédérations sportives (3). Ces clubs et fédérations ont longtemps été gérés par des bénévoles, avec une structure axée sur le service à la communauté. Cette démarche était soutenue par les acteurs publics qui subventionnaient largement ces associations. Leur objectif était statutairement non lucratif (4). Mais face à la médiatisation et la commercialisation du sport, ces structures doivent se réinventer. L’enjeu est de faire évoluer le modèle associatif vers un modèle entrepreneurial. Il est donc normal d’adopter des pratiques et des logiques inspirées du secteur privé. Cette transformation, elle s’opère lentement dans les fédérations. Elle s’illustre par le poids de plus en plus grandissant du secteur marketing et de la fonction commerciale.
Même si tous les acteurs (politiques, élus, professionnels, licenciés…) s’accordent à dire qu’il faut accélérer cette transformation, les paroles ont du mal à se transformer en actes. Qui peut appuyer sur la pédale d’accélérateur ? Forcément, celui qui a le pouvoir. Dans une fédération, ce sont les Présidents. Pourquoi, ils ne le font pas ? Pour pouvoir répondre à cette question, il est important de comprendre la gouvernance des fédérations.
Afin d’appréhender cette problématique, on peut s’appuyer sur les travaux du Sénat, qui suite aux affaires du Président de la Fédération Française de Football (Noël Le Graët – suspicion de harcèlement moral et sexuel) et du Président de la Fédération Française de Rugby, Bernard Laporte (condamné par la justice le 13 décembre 2022, aux côtés de l’homme d’affaires Mohed Altrad, pour un pacte de corruption lié notamment au parrainage du maillot de l’équipe de France), ont essayé de comprendre et de faire évoluer la gouvernance du sport en France et plus spécifiquement des fédérations sportives.
Fort de cette ambition, le mercredi 12 avril 2023, la commission sénatoriale de la culture, de l’éducation et de la communication avait organisé une table ronde sur le thème « Comment améliorer la gouvernance des fédérations sportives ? ». Alexandre Martinez, Président par intérim de la Fédération Française de Rugby, avait déclaré : « Quand on arrive à la FFR, on essaye donc de faire revivre cette Fédération, sans forcément y avoir été préparé, en se posant des questions de gouvernance et d’éthique. Pour cela, on dispose des outils que sont le code du sport, à l’ésotérisme bien marqué pour un nouveau dirigeant, les statuts et les règlements de la Fédération, qui ont un caractère juridique qui confère peut-être un peu moins à l’ésotérisme, mais qu’on ne sait pas toujours lire quand on n’a pas la formation. Nous disposons aussi d’une structure composée de salariés qui ont la compétence, le dévouement et la motivation. Pour autant, se pose la question de la relation entre élus et salariés (…). Lorsqu’on arrive dans une fédération, on ne sait pas forcément trop bien répondre à la question de la gouvernance et de l’éthique. On y répond avec son propre référentiel, c’est-à-dire l’expérience. (…) Au fur et à mesure qu’on avance, on prend conscience que les instances de gouvernance auraient dû nous obliger à traiter les choses différemment. On s’aperçoit qu’on fait des erreurs, qu’on peut ou non rattraper. Même s’il existe des textes – et ils sont importants -, ils ne valent que par la manière dont on les applique. Comment sélectionner une équipe nouvelle ? Quelles sont les compétences nécessaires pour gérer une fédération ? Comment, à travers des formations, introduire cette équipe nouvelle dans la gestion d’une fédération ? Vous devinez le sens de mon propos. Ces choses-là n’existent pas et on devient, de fait, autodidacte » (5).
Par ces propos, on comprend parfaitement que le pouvoir ne rime pas forcément avec le savoir. Il indique qu’il ne dispose pas de toutes les compétences, n’ayant pas bénéficié de formation, pour diriger une fédération. Pour autant, les élus pourraient s’appuyer sur les salariés des fédérations, qui eux disposent de certaines compétences. Mais encore une fois, Alexandre Martinez nous indique que la relation avec les salariés est difficile à créer. Le management ne s’improvise pas. Lorsque Michel Vion, Président de la Fédération Française de Ski (FFS) quitte son poste pour devenir Secrétaire Général de la Fédération Internationale de Ski (FIS), il est remplacé par Anne-Chantal Pigelet. Cette dernière, à son arrivée à la Fédération, le 10 juillet 2021 réunit l’ensemble des salariés et déclare : « La fédération, c’est comme une ruche. Vous êtes les abeilles et moi la reine »…. On comprend qu’au travers de tels propos, elle ne distille pas une énergie collective. Au contraire, elle érige un mur entre salariés et élus.
Les pouvoirs publics, en promulguant la loi du 2 mars 2022, ont tenté de moderniser la gouvernance des fédérations sportives. Ils ont imposé une parité progressive intégrale dans les instances dirigeantes et ont renforcé les obligations de transparence (extension de l’obligation de déclarations patrimoniales et d’intérêts…). Mais finalement, ils n’ont pas abordé les problèmes de fond qui existent dans les fédérations sportives : la compétence des dirigeants et son articulation avec les salariés.
Mais de quel « savoir ou compétence » parle-t-on ? Afin de bien appréhender le rôle d’un président de fédération, prenons la fiche de poste du Président de la Fédération Française d’Aviron (FFA), éditée en septembre 2024.
Rôle : Le président de la Fédération Française d’Aviron assure la gouvernance et la direction stratégique de l’organisation. Il représente la fédération au niveau national et international, supervise le développement de l’aviron, veille à la préparation des équipes nationales, olympiques et paralympiques. Il s’assure également de la coordination des actions de la fédération avec les objectifs du ministère des Sports.
Responsabilités clés :
1. Représentation et diplomatie :
* Représenter et défendre la FFA auprès des instances nationales (ministère des Sports, Agence Nationale du Sport, collectivités locales) et internationales (FISA/World Rowing, Comité Olympique National du Sport Français et Comité Olympique et Paralympique).
* Représenter et défendre les intérêts de l’aviron français sur la scène internationale.
* Renforcer les partenariats avec les autres fédérations sportives, les institutions publiques et les acteurs privés.
2. Stratégie et développement :
* Définir et mettre en œuvre la stratégie de développement de l’aviron, en garantissant l’accès à la pratique pour tous.
* Mettre en place des programmes de formation, de détection, de développement.
* Favoriser l’innovation et l’intégration des nouvelles technologies.
3. Gestion et organisation :
* Superviser la gestion des ressources humaines, financières et logistiques, en garantissant une utilisation transparente des subventions et des partenariats.
* Organiser les grands événements sportifs nationaux et internationaux.
* Collaborer avec les ligues, comités régionaux et les clubs pour promouvoir un développement équilibré de l’aviron à travers tout le territoire français.
4. Encadrement des équipes :
* Soutenir les entraîneurs, équipes techniques et athlètes dans leur préparation pour les compétitions.
* Promouvoir la diversité au sein des équipes d’aviron.
* Assurer l’optimisation de la performance.
5. Coordination des actions éducatives et sociales :
* Promouvoir les valeurs de l’aviron.
* Encourager le recrutement et la fidélisation de tous les publics.
* Sensibiliser les membres de la fédération aux enjeux environnementaux.
6. Suivi des règlements et conformité :
* Assurer le respect des règles nationales et internationales, en partenariat avec les instances dirigeantes de l’aviron.
* Lutter contre le dopage et promouvoir l’intégrité dans les compétitions.
* Appliquer des politiques strictes de tolérance zéro envers les discriminations et violences dans le sport.
Collaboration avec le directeur technique national (DTN) et les cadres d’État de la Direction Technique Nationale (DTN) : Le président travaille étroitement avec le directeur technique national et les cadres d’État de la DTN, sous la responsabilité du ministère des Sports. Septembre 2024 FFAVIRON (7)
En résumé, le président de la fédération d’aviron est l’ambassadeur de son sport auprès des institutions, il donne le cap à suivre, supervise toute la partie sportive (formation, haut-niveau…), législative, financière et managériale. En deux mots : il dirige. On peut donc s’interroger sur le rôle du Directeur de la Fédération dont la fiche de poste du Président ne fait même pas mention. Elle évoque uniquement le Directeur Technique National (DTN) qui, il est important de le rappeler, est nommé et rémunéré par le ministère des Sports, bien que choisi par le bureau directeur de la fédération. Cette fiche de poste décrit parfaitement un Président omnipotent. On peut juste s’interroger sur la capacité du Président à disposer de telles compétences.
Traditionnellement, les Présidents de fédérations ont précédemment été dirigeants de clubs puis de comités, évoluant dans les arcanes du pouvoir fédéral. Ils ont globalement une bonne connaissance de la pratique de leur sport, du tissu associatif et des instances. Mais rares sont ceux qui disposent de compétences entrepreneuriales, managériales et techniques.
Soyons réalistes, ce type de profil est rare. Ne nous évertuons pas à chercher le mouton à 5 pattes mais plutôt trouvons la solution dans l’articulation de la gouvernance. D’autant que les compétences managériales et techniques existent au sein des salariés.
Ce qui est important, c’est d’améliorer la relation entre les salariés et les élus et plus spécifiquement entre le directeur et le président. Alexandre Martinez, Président de la FFR par intérim, l’a rappelé devant le Sénat, « nous disposons d’une structure composée de salariés qui ont la compétence, le dévouement et la motivation. Pour autant, se pose la question de la relation entre élus et salariés (…). Lorsqu’on arrive dans une fédération, on ne sait pas forcément trop bien répondre à la question de la gouvernance » (5).
Pour ce faire, on se doit de redéfinir les rôles de chacun et de créer un lien solide et lisible. Comme on doit faire évoluer le modèle associatif vers un modèle entrepreneurial, inspirons-nous des entreprises.
Le fonctionnement des grandes sociétés (SA, SAS, …) s’articule autour de 2 éléments forts. Premièrement, un Conseil d’Administration (regroupant les actionnaires) dirigé par un Président (Président du CA) et deuxièmement un Directeur Général (DG). Ce dernier propose au Conseil d’Administration une stratégie pour l’entreprise. Le CA la valide puis supervise son application. Le DG est le pilote de l’entreprise. Il a une responsabilité globale sur la bonne marche de l’entreprise. Il a pour missions de définir la stratégie de son entreprise et d’en assurer la mise en œuvre en définissant l’organisation et les objectifs à atteindre (8).
La première étape consisterait à calquer ce modèle aux fédérations. La principale tâche du président serait d’être le garant de l’institution et celle du directeur de diriger, c’est-à-dire qu’il aurait la responsabilité de l’orientation stratégique globale et de la gestion de la fédération. Le Président et l’ensemble des élus du comité directeur superviseraient son action.
Cette solution permet de donner plus de pouvoir à un professionnel du sport et non à un politique. Néanmoins, se pose également la question de la formation des directeurs de fédération. Ils doivent connaitre l’écosystème du sport en France, les besoins complexes du milieu sportif et disposer de compétences nécessaires en marketing, gestion et leadership. Dans leur grande majorité, ils ont acquis ces « savoirs » durant leur cursus scolaire et professionnel. Comme partout, certains sont parachutés à ces postes sur la base d’une simple expérience sportive sans être passé par la case « gestion d’un centre de profits ».
Pour limiter cet écueil, les pouvoirs publics pourraient faire évoluer le code du sport en obligeant le président et sa liste à indiquer quel sera le directeur de la fédération en cas de victoire lors des élections. Ainsi le potentiel président scelle son destin à un directeur, dès sa candidature. Les votants, lors des élections, élisent un projet mais également un binôme : Président-Directeur, Politique-Professionnel.
Statutairement, le président resterait bénévole tandis que le directeur deviendrait, non pas salarié mais mandataire social. Ainsi, le mandat du directeur serait calqué sur la durée de la mandature du Président.
Avec des rôles plus clairs pour chacun (Président-Directeur), les fédérations seraient mieux armées face à la marchandisation et pourront accélérer leur transformation sur le modèle entrepreneurial sans pour autant se couper du monde associatif. Ce projet de professionnalisation de la gouvernance des fédérations doit leur permettre de mieux appréhender les futurs enjeux entrepreneuriaux auxquels ils vont être confrontés.
Mais les Présidents arriveront-ils à partager ce pouvoir ? Si les pouvoirs publics décident de faire évoluer les règles de gouvernance des fédérations, il y aura au préalable un véritable travail de pédagogie à réaliser auprès des Présidents de fédérations, pour que ces nouvelles règles soient une évolution et non une révolution.
(1) https://www.groupebpce.com/la-banque-du-sport/acteur-de-leconomie-du-sport/notre-etude-sur-la-filiere-sport/la-filiere-sport-les-challenges-dune-championne/
(2) https://www.formationcogito.fr/qui-finance-le-sport-en-france/
(3) https://cnosf.franceolympique.com/federations-sportives-et-membres
(4) https://www.actu-juridique.fr/droit-du-sport/lassociation-est-elle-toujours-adaptee-a-la-gestion-et-au-developpement-des-activites-sportives/
(5) https://www.publicsenat.fr/actualites/politique/on-a-peut-etre-commis-des-erreurs-reconnait-alexandre-martinez-president-de-la
(6) https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000045287568
(7) https://www.ffaviron.fr/medias/downloads/4-Role-du-president-de-la-FFA-20240913132651.pdf
(8) https://www.economie.gouv.fr/entreprises/conseil-administration-entreprise