Se former et travailler dans le monde du sport, l’idée a sans doute traversé l’esprit de mal d’entre nous, simples passionnés ou anciens sportifs professionnels en reconversion. Dans ce cadre là, nous entendons souvent parler des formations dispensées par les écoles de commerce en management du sport, mais moins des diplômes en droit du sport. Pourtant, depuis plus de dix ans, le Centre de droit du sport de Marseille forme la fine fleur des juristes du sport français et international. Découvrez-ci-dessous notre interview de Jean-Michel Marmayou, Directeur du Centre de droit du sport de Marseille.
Mahmoud Bouguermouh : Quelle place occupe aujourd’hui le droit dans le monde du sport business ?
Jean-Michel Marmayou : Le droit est de plus en plus présent dans le sport business, comme dans tous les business d’ailleurs. Plus il y a d’intérêts économiques et plus le droit est important. Il faut pouvoir prévenir en amont la tension et le stress avec des contrats qui tiennent la route. De plus, ce stress là dégénère souvent en litige et ces litiges il faut les traiter, et c’est le droit qui les traite.
MB : Vous avez créé le Centre de Droit du sport de Marseille avec Fabrice Rizzo il y a plus de dix ans. En quoi consistent vos activités ?
JMM : Nous avons tout un panel d’activités que l’on gère à trois avec Fabrice Rizzo et Gaylor Rabu. Notre première activité est l’enseignement avec le diplôme de Master professionnel de droit du sport. A coté, nous avons également une activité de recherche qui donne lieu à des colloques et des publications, notamment notre revue trimestrielle « Les cahiers de droit du sport ». Nous dirigeons aussi des étudiants qui font des thèses. A côté de ça, nous avons tous une activité de consultants, c’est à dire que l’on met à profit notre expérience et notre expertise auprès de sponsors, d’agents, de clubs ou de fédérations.
MB : A propos du Master, vous accueillez cette année votre 11ème promotion. Quel est le profil de vos étudiants ? Comment les choisissez-vous ?
JMM : Le monde du sport réclame des profils très différents. On essaye de faire une sélection d’étudiants, les meilleurs, extrêmement motivés. Cela fait partie des critères importants. Le monde du sport est un monde compliqué, il faut des gens aptes à supporter la pression. Il est aujourd’hui difficile de trouver un emploi, il faut se faire connaître et se faire un réseau. Ensuite, on essaye d’être aux aguets, d’être très informés sur les besoins des clubs, des fédérations ou des sponsors pour savoir s’ils ont plus besoin de spécialistes en droit du travail, en droit des sociétés ou en droit fiscal. nous essayons ensuite de construire des promotions avec des profils différenciés et avec une vision filles/garçons. Nous essayons d’avoir une certaine parité afin de féminiser un peu le monde du sport.
MB : Le milieu du sport business est un milieu très fermé. Comment se fait l’insertion de vos étudiants dans le monde professionnel ?
JMM : Nos anciens étudiants sont aujourd’hui un peu partout. Cela va de responsable juridique de club, comme par exemple à l’Olympique de Marseille, à des postes de direction dans des clubs (secrétaire général du RC Strasbourg). Nous avons même un ancien étudiant qui est président de club au Panama. Après nous avons des juristes dans les fédérations ou dans les organisation internationales (Fédération Européenne de Handball, Comité International Olympique…), des agents ou des avocats. D’autres travaillent pour des sponsors (Dailymotion, Nike, Canal+…). Notre diplôme est aujourd’hui suffisamment reconnu pour que personne ne se pose la question de la qualité ou de la compétence des étudiants qui sortent de chez nous.
MB : Il s’agit d’un diplôme en droit du sport, mais vous n’enseignez pas que du droit…
JMM : Il faut prendre conscience au départ que le juriste n’est pas bien vu dans l’entreprise, il est souvent regardé comme l’empêcheur de tourner en rond. Pour éviter cela, nous essayons de donner une culture managériale, entrepreneuriale, de marketing et d’image à nos étudiants. Ceci afin qu’ils puissent communiquer avec les autres services, qu’ils ne s’enferment pas dans leur service juridique et qu’ils puissent participer à la production de valeur. Nous avons pratiquement une centaine d’heures de cours dans l’année avec de la comptabilité, du management, de la gestion ou encore de la stratégie.
MB : La semaine dernière, les clubs professionnels ont réaffirmé leur volonté de ne pas jouer les matchs de Ligue 1 et Ligue 2 le week-end du 30 novembre. Cette taxation à 75% représente-t-elle vraiment une menace pour le football français ?
JMM : Oui et non. On parle de 44 millions d’euros qui seraient assumés par un certain nombre de clubs mais pas tous. Elle serait assumée par des clubs qui peuvent prendre en charge, en tout cas pour au moins un d’entre d’eux, ce surplus. Le vrai danger ce n’est pas tant cette taxe, c’est le fait qu’elle s’applique à des situations qui sont en cours. C’est comme pour la disparition du DIC (droit à l’image collective). Les clubs ont prévu des budgets et ont signé des contrats avec les joueurs sur une certaine durée en tenant compte d’une situation fiscale à peu près stable. On connaît un certain nombre d’impôts et de taxes, et on crée des budgets par rapport à ça. Tout d’un coup on vient en rajouter une qui est vraiment spéciale et qui déséquilibre tout ça. Cela va entraîner des ruptures avant terme de contrats et les clubs vont devoir se séparer de gros joueurs. Ou alors il faudra faire appel à la bonne volonté des actionnaires, et là encore tous n’en ont pas forcement les moyens ou l’envie. C’est ça qui est déséquilibrant en fait. Après ce qui est plus politiquement choquant, c’est un avis personnel, c’est que ce sont les clubs qui paient et non pas les joueurs.
MB : Est-il normal que Monaco ne soit pas soumis à cette contribution ?
JMM : En visant simplement l’entreprise qui a son siège à Monaco, sans viser les joueurs, le club ne sera pas soumis à cet impôt. C’est pour cela qu’il fallait viser les joueurs. La plupart des joueurs de Monaco sont domiciliés en France, et même pour les joueurs français qui sont domiciliés à Monaco, une convention fiscale internationale fait qu’ils sont soumis à l’impôt en France. Maintenant cette façon d’être passé du patrimoine du joueur aux comptes de l’entreprise fait que Monaco sera débarrassé de l’impôt. Mais bon, le club monégasque a toujours été débarrassé des impôts français, pourquoi est ce qu’on s’énerve contre eux maintenant, je trouve qu’il y a une tradition et une coutume qui doit être respectée. On verra ce que dit le Conseil d’état, mais j’imagine qu’en réalité ce problème sera réglé par une diplomatie discrète entre l’AS Monaco et la Ligue de Football Professionnel.
MB : On a parlé également récemment de l’introduction en bourse d’un joueur de football américain, Arian Foster. Qu’en pensez-vous ?
JMM : Lorsque l’on parle d’introduire le joueur en bourse, c’est un raccourci évidemment. Le joueur ne sera jamais introduit en bourse, il ne sera jamais découpé entre les actionnaires, c’est comme quand on dit que tel joueur a assuré ses jambes. Juridiquement en réalité, on considère qu’Arian Foster est susceptible de générer de la valeur en passant des contrats de travail, d’image ou de sponsoring. Cette valeur, il peut la partager avec des personnes qui peuvent lui donner tout de suite de l’argent, des investisseurs qui vont acheter des actions. Ces sommes vont être transférées dans le patrimoine du joueur et lui va s’engager sur le temps à partager ses revenus futurs à hauteur de 20%. C’est une sorte de prêt en réalité. C’est un mécanisme financier tout bête qui n’a rien de particulièrement dangereux pour le joueur ni pour les investisseurs ou futurs actionnaires qui sont très largement informés des risques. La société Fantex a diffusé auprès de la Securities & Exchange Commission (autorité des marchés financiers américains) un prospectus de plus de 40 pages ou il y a tous les risques. Pour moi ça n’a strictement rien de choquant.
MB : La Fédération Française de Tennis a lancé un appel d’offre pour les droits de diffusion du tournoi de Roland Garros qui a échoué. Comment peut-on l’expliquer ?
JMM : La FFT a placé dans son appel d’offre un montant minimum, c’est à dire une somme en deçà de laquelle elle ne souhaitait pas répondre. Dans une situation où la concurrence entre les chaînes n’est pas suffisamment forte à propos des droits du tennis, aucune chaîne n’a fait une offre au dessus du seuil posé par la FFT. Visiblement les différentes chaînes ont estimé que les images de ce tournoi n’en valaient pas la peine. Après, France Télévisions était dans une position où elle savait que la concurrence n’allait pas surenchérir, elle a donc fait la même proposition qu’auparavant. La valeur est celle du marché, mais il est sûr qu’ils ne doivent pas espérer récupérer plus de 30 millions d’euros. Personne n’est prêt à mettre une telle somme.
MB : À propos de beIN SPORT, votre collègue Fabrice Rizzo avait soulevé en avril dernier un conflit d’intérêts avec le PSG. Quand on sait que le club s’est installé dernièrement dans les mêmes locaux de la chaîne, la question est-elle toujours d’actualité ?
JMM : Il faut bien faire attention quand on parle de conflit d’intérêts. Il y a tous les éléments qui peuvent dire qu’il y a effectivement des intérêts croisés et donc conflit d’intérêts. Maintenant, il faut savoir si ce conflit d’intérêts est utilisé abusivement par le PSG pour en retirer un avantage sportif. Il n’y a pour l’instant rien qui le démontre. On a deux façons de traiter les conflits d’intérêts, soit on ne traite que les cas avérés, lorsqu’on a la preuve formelle qu’une personne placée dans une situation de conflit d’intérêts a utilisé cette situation pour en tirer un avantage propre. Soit on décide de gérer ça en amont, c’est à dire qu’on empêche les situations qui pourraient permettre des conflits d’intérêts ; c’est à dire qu’on sanctionne l’apparence de conflit d’intérêts. Dans la situation du PSG, on est clairement dans une situation d’apparence de conflit d’intérêts. Il n y a pas de règle particulière dans le monde du football pour sanctionner directement ce type de situation, mais c’est vrai que ça pourrait ne pas correspondre à une vision très stricte du concept de fair-play et du concept d’égalité des participants. Mais une fois de plus, rien n’est avéré.
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