(Interview réalisée en juin 2012) Deux semaines après la fin de Roland Garros, un autre grand Chelem – Wimbledon – pointe le bout de son nez. Même continent mais une surface différente. Les meilleurs joueuses et joueurs du tournoi vont donc se retrouver à Londres. Un rythme infernal pour les Nadal, Federer et Sharapova. Une cadence d’enfer également pour Benoit Mauguin, cordeur français sur le circuit pour RPNY Tennis. SportBuzzBusiness.fr vous propose, au travers d’une interview de Benoit, de vous plonger dans la vie d’un cordeur pro !
SportBuzzBusiness.fr : Benoit, pour qui travailles-tu ?
Benoit Mauguin : Je travaille en tant que cordeur pour un groupe d’une dizaine de joueurs. Maria SHARAPOVA, Dominika CIBULKOVA, Andy RODDICK, Tomas BERDYCH, Féliciano LOPEZ, Bernard TOMIC entre autres. Je les suis sur les tournois les plus importants, à savoir les Grand Chelem et les Masters 1000. Andy RODDICK s’attache mes services à chaque tournoi, peu importe son importance.
SBB : Quel est ton travail au quotidien ?
BM : Mon seul objectif est de m’assurer que le matériel de mes joueurs soit prêt pour leurs matchs et leurs entrainements. Il s’agit de nettoyer les cadres car de la terre battue ou de l’herbe peuvent rester dans les joncs, corder les raquettes aux tensions demandées s’il y en a plusieurs, poser les surgrips. Nous faisons également les logos pour respecter les contraintes contractuelles de nos joueurs. Une fois les raquettes préparées, la journée ne s’arrêtent pas pour autant ! Etre au contact des joueurs sur ou à la sortie du court pour récupérer les feedbacks est très important. Cela permet généralement d’anticiper de légers ajustements pour mettre les joueurs dans de meilleures conditions.
SBB : Peux-tu nous présenter ton parcours ?
BM : Je suis titulaire d’une licence STAPS et d’un master « Management du Sport », que j’ai complété par de nombreuses expériences professionnelles dans le monde du tennis (boutique spécialisée, équipementier). Ma première expérience au contact des joueurs professionnels a été en 2007 lors de Roland Garros ; édition durant laquelle je faisais partie de l’équipe officielle mise en place par Tecnifibre pour assurer le service cordage. Mon premier tournoi en tant que cordeur fut le BNP Paribas Masters Paris Bercy en 2008. Plus mes études se prolongeaient, plus le nombre de semaines sur le Tour augmentait ; jusqu’à aujourd’hui ou cela représente entre 42 et 45 semaines …
SBB : Combien de pays as-tu traversé l’année dernière ?
BM : Le circuit professionnel se joue sur tous les continents, donc nous sommes amenés à traverser les océans à plusieurs reprises. Généralement, mon programme se découpe en plusieurs parties : une tournée en Australie en janvier, une tournée aux Etats Unis en Février-Mars pour terminer avec l’enchaînement Indian Wells /Miami, une tournée Européenne sur terre battue qui se termine à Paris pour Roland Garros, une courte saison sur herbe en juin, un nouveau passage aux Etats Unis pour préparer l’US Open, une tournée en Asie en septembre-octobre et une fin de saison en Europe. Les programmes de fidélité des compagnies aériennes n’ont plus aucun secret pour nous !
SBB : Quelle est la relation que tu entretiens avec les joueurs ? avec les autres cordeurs ?
BM : Les personnes voyageant dans le cadre du circuit professionnel comme les arbitres, les représentants de l’ATP-WTA, kinés, journalistes sont généralement les mêmes. Nous formons une petite « famille » qui se retrouve souvent, ça permet de créer des liens malgré l’itinérance de nos métiers. Avec les joueurs, et plus particulièrement avec ceux dont je m’occupe, il existe une véritable relation de confiance. Ils mettent leur principal outil de travail entre mes mains ! Je n’ai donc pas le droit à l’erreur, sachant que le moindre écart de tension peut avoir de graves conséquences. Un match serré se joue sur un ou deux points. Sur un point important, une balle qui accroche ou sort de quelques millimètres peut faire la différence.
SBB : Quel est ton programme pour Wimbledon cette année ?
BM : Je suis arrivé à Londres juste après Roland Garros pour préparer le tournoi du Queen’s. La semaine dernière, je me suis occupé de mes joueurs déjà là pour préparer le Grand Chelem. Dans le même temps, je me suis occupé, depuis Wimbledon, des raquettes d’Andy RODDICK qui a remporté le tournoi Eastbourne ! Avec la pluie, les entrainements sont raccourcis, ce qui nous laisse moins de temps pour trouver le réglage optimal. J’espère rester à Londres jusqu’au 8 Juillet, ce qui voudrait dire qu’au moins un de mes joueurs est en finale.
SBB : Quel est ton tournoi préféré ?
BM : BNP Paribas Open à Indian Wells et le Monte Carlo Rolex Masters font partie de mes tournois favoris. A Indian Wells, le cadre est vraiment exceptionnel. Le climat y est très appréciable, surtout quand à Paris les températures sont négatives ! Monaco est une ville incroyable et le tournoi a lieu dans un cadre splendide. J’apprécie également chaque tournoi en France et surtout à Paris. Cela permet de passer du temps en famille et de voir les amis.
SBB : As-tu une anecdote insolite à nous partager ?
BM : Une anecdote ??? Pas évident …L’année dernière à Cincinnati, Maria SHARAPOVA jouait son quart de finale contre Vera ZVONAREVA. Sharapova s’est aperçue lors du 1er set que, malgré mes recommandations, elle n’avait pas choisi la bonne tension. Elle se tourne vers sa « box » où se trouvent son staff et ses invités, pour me donner deux raquettes, accompagné d’un « do your best ». Je me précipite donc à l’hôtel pour corder ses deux raquettes, l’hôtel était à 15km du site. Avec l’aide de son sparring partner et de deux chauffeurs du tournois, elle a pu bénéficier d’une tension plus importante pour mieux contrôler la balle et ce en moins d’une heure ! De retour au bord du court, 2-6 2-3 contre SHARAPOVA. 30-40 Balle de break pour ZVONAREVA. Le point dure jusqu’au moment où un coup droit gagnant de Maria est annoncé « out » ; elle fait appel à l’arbitrage vidéo qui déjuge l’arbitre pour quelques millimètres seulement ! Le clin d’œil a mon égard et les remerciements de son staff furent des plus appréciables. Elle remporte les deux manches suivantes aisément et gagne le tournoi derrière ! Il serait présomptueux de faire un lien entre les victoires et nos services, mais parfois notre humble contribution peut s’avérer être déterminante.
SBB : Comment fonctionne ce système ? Etes-vous rémunéré à l’année, au mois ?
BM : Les joueurs paient un forfait annuel qui couvre l’ensemble des tournois importants (Grand Chelem et Masters 1000). Pour des raisons de confidentialité, il ne m’est pas possible de communiquer les montants. Il faut savoir qu’il s’agit de prestations haut de gamme, qui engendrent de nombreux frais (hôtel, billets d’avion, transport des machines à corder …)
SBB : Peux-tu nous présenter le fonctionnement général du service cordage aujourd’hui sur le circuit ATP et WTA ?
BM : Chaque tournoi a l’obligation de mettre en place un service de cordage pour s’occuper des raquettes des joueurs participant au tournoi. Le coût moyen d’une pose se situe entre 20 et 25€. Pour faciliter les transactions, les tournois déduisent ces prestations des gains obtenus par les joueurs. A la fin du tournoi, le tournoi rétribue l’argent au prestataire ayant organisé le service (équipementier, magasin, indépendant …) Pour ceux qui désirent éviter d’avoir affaire à des prestataires différents chaque semaine, la sollicitation de cordeurs « privés » est le seul autre recours possible. Cette formule fait de nombreux émules parmi le top 20 malgré son coût bien plus élevé.
SBB : Combien représente en dollars le coût cordage d’un joueur ATP sur une saison ?
BM : Le budget annuel d’un joueur présent dans le Top 100 ATP peut facilement atteindre les 10 000 $. Un joueur consciencieux au niveau de son matériel a besoin au minimum de 3 raquettes « neuves » à chaque match pour des matchs au meilleur de 3 sets. De plus en plus de joueurs changent de raquettes aux changements de balles. Il faut prendre en compte également que certains sont amenés à payer leurs cordages, si par exemple, ils choisissent un cordage de marque différente de celle de leur raquette.
SBB : Quel joueur fait cordre le plus de raquettes pour un match ?
BM : Sur les deux circuits confondus, celui qui corde le plus de raquettes est une femme et non un homme ! Je suis plutôt bien placé pour en parler car il s’agit de Maria SHARAPOVA . Même si le format des matchs ne peut dépasser 3 sets au contraire des hommes, elle demande entre 10 et 12 raquettes pour chaque match. Il n’est pas rare d’avoir à faire 4 ou 5 raquettes pour un entrainement de 90 minutes ! En faisant coïncider son changement de raquettes en même temps que celui des balles (tous les 7 et 9 jeux), il faut préparer 6 raquettes pour parer à l’éventualité d’un match très long. Comme elle désire avoir une autre série de 6 raquettes avec une tension différente (cf. épisode Cincinnati), les veilles de matchs sont plutôt chargées. Depuis le début d’année, j’ai cordé plus de 450 raquettes !
SBB : Qui a la plus basse tension sur le circuit ? La plus haute ?
BM : Au niveau des tensions, on peut trouver de tout ! De 12kg pour F.Volandri à plus de 30kg pour J.MELZER, X.MALISSE. Il est dur de définir une tension moyenne mais ce qui est sur, c’est qu’avec l’utilisation massive de polyesther (cordage synthetique très resistant), les tensions ont chuté. Ce type de cordage procure plus de contrôle, ce qui permet aux joueurs de baisser leurs tensions et ainsi préserver leurs articulations. Chaque tournoi est différent et les conditions de jeux ne sont jamais identiques d’un tournoi à un autre. Même au sein d’un même tournoi, un court peut être plus rapide qu’un autre à cause de son exposition au vent, de son ensoleillement, de sa rénovation précoce. Mais les deux paramètres sur lequel se focalisent les joueurs pour choisir leurs tensions sont : le court (surface, hauteur du rebond, prise d’effet) et les balles (d’un fournisseur à l’autre, les joueurs apprécient différemment leurs propriétés). Cela peut les amener à faire évoluer leur choix de façon radicale ou de procéder à de légers ajustements, ce qui est le plus souvent le cas.
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